Comment remettre les questions de transition liées à l'alimentation à l’agenda ?
Comment remettre les questions de transition liées à l'alimentation à l’agenda ?
Les systèmes alimentaires mondiaux sont à l'origine d'environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre, et l'impact sur le climat des principales industries (viande, produits laitiers, etc.) remet en question la durabilité de nos habitudes alimentaires. De nouvelles solutions sont envisagées pour faciliter la transition vers des systèmes agroalimentaires plus durables. Libérer le potentiel de l'agriculture urbaine et construire des communautés autour de solutions pour l'agriculture biologique, le verdissement des villes et la biodiversité peut accélérer la transformation des pratiques alimentaires, comme l'a clairement montré le réseau URBACT "Sustainable Food in Urban Communities" (Alimentation durable dans les communautés urbaines).
En mars 2024, URBACT et European Urban Initiative donneront le coup d'envoi d'une série de City Labs de l'UE sur les systèmes alimentaires locaux. Les 21 et 22 mars, le premier des trois laboratoires sera consacré à Mouans-Sartoux. Voici comment cette petite ville française s'est lancée dans l'alimentation biologique et locale et est devenue un acteur majeur de la transition alimentaire urbaine et le chef de file de deux réseaux de transfert URBACT.
Quand à Mouans-Sartoux
Pour mieux comprendre les réalisations de Mouans-Sartoux en matière de politique alimentaire, pourquoi ne pas s'intéresser au mode de vie local ? Entre 2016 et 2022, une étude financée par l'ADEME (Agence française pour la transition écologique) a évalué l'impact carbone à Mouans-Sartoux. Selon cette évaluation, alors que l'alimentation représente en moyenne annuelle 2 tonnes d'émissions de dioxyde de carbone par personne en France, elle n'est que d'environ 1,17 tonne dans la ville. Le nombre d'habitants réduisant leur consommation de viande est passé à 85 % en moins de 10 ans. Bien entendu, Mouans-Sartoux n'est pas isolée. D'autres villes européennes, dont Haarlem (NL), proposent une législation visant à interdire les publicités pour la viande.
Discussion de groupe lors du forum A Table ! Mouans-Sartoux. Source : François Jégou : François Jégou.
Transcription visuelle
En France, Mouans-Sartoux est l'une des quatre villes à proposer des repas 100 % biologiques dans les cantines des écoles publiques, où 1 000 enfants de l'enseignement primaire mangent chaque jour. La moitié des repas sont strictement végétariens et presque exclusivement d'origine locale. Par ailleurs, la ferme municipale, située à 700 mètres du centre-ville, approvisionne les cuisines des écoles, et les trois agriculteurs municipaux récoltent 25 tonnes de légumes par an. Le soutien de la municipalité à l'installation de jeunes producteurs biologiques sur les terres communales représente une autre mesure fructueuse, qui accompagne l'adoption générale du principe du "zéro gaspillage alimentaire".
La municipalité a également réussi à créer le MEAD - Centre d'éducation à l'alimentation durable : le véritable service public alimentaire de la ville. Le centre est politiquement engagé dans le commerce équitable et soutient le défi des familles à alimentation positive.Comme le dit Valery Bousiges, parent d'un élève de l'école primaire, "la question n'est pas de savoir quand quelque chose va se passer :"La question n'est pas de savoir quand il se passe quelque chose sur l'alimentation à Mouans-Sartoux, mais ce qu'il se passe aujourd'hui".
Enfin, l"'activisme public permanent" de la ville prouve son efficacité avec les jardins urbains Citizen feeds the city. "Ces jardins collectifs produisent des légumes et des fruits, mais surtout de la socialisation entre les habitants du quartier", explique Rob Hopkins lors de la visite de l'un des six jardins de l'association, un projet conçu par le MEAD - Sustainable Food Education Centre et mis en place par les habitants du quartier.
Deux Réseaux URBACT s'opposent aux bio-sceptiques
L'"approche Mouans-Sartoux" porte ses fruits, car elle s'appuie sur une sensibilisation et une éducation à long terme pour une transition durable. Or, cette transition passe par un changement de comportement qui, même s'il est anticipé, n'est pas toujours rapide ni facile. Dans son livre L'Homnivore, Claude Fischler explique que, par le mécanisme de "l'incarnation alimentaire", nous devenons ce que nous mangeons. Cela s'applique aussi bien physiquement que symboliquement, d'où une résistance accrue à tout changement de régime. À moins que notre vie n'en dépende, comme ce fut le cas pour les premiers hommes, les changements alimentaires peuvent menacer l'identité de chacun.
Comme le rappellent Andrea Lulovicovà, des Greniers d'Abondance, et Chantal Clément, d'IPES FOOD, la transition alimentaire repose sur trois piliers essentiels : la transition agricole, la relocalisation de l'alimentation et la transformation des pratiques alimentaires. Il ne suffit pas de produire des aliments biologiques et locaux si nous ne changeons pas notre façon de manger.
L'exemple de Mouans-Sartoux et de toutes les autres villes en transition alimentaire répond à ces trois critères. C'est également la raison pour laquelle la ville pionnière était prête à diriger deux réseaux de transfert URBACT faisant progresser les bonnes pratiques, les modules de transfert et les histoires sur les modèles alimentaires locaux durables. BioCanteens (2018-2021) et BioCanteens#2 (2021-2022) ont impliqué les villes et organisations partenaires suivantes : Gavà (ES), LAG Pays des Condruses (BE), Liège (BE), Rosignano Marittimo (IT), Torres Vedras (PT), Trikala (EL), Troyan (BG), Vaslui (RO) et Wroclaw (PL).
Fidèles à leur nom, les Réseaux de Transfert BioCanteens URBACT avaient pour objectif de réduire de 80% le gaspillage alimentaire, notamment dans le domaine de la restauration collective scolaire. Grâce à ces réseaux, Mouans-Sartoux a conçu et partagé des bonnes pratiques pour une approche agroalimentaire locale intégrée, protégeant à la fois la santé des citoyens et l'environnement. Ces pratiques, et bien d'autres, se trouvent dans la boîte à outils BioCanteens, qui comprend un exercice projectif sur la souveraineté alimentaire de chaque ville et l'avenir de ses terres vivrières à l'horizon 2040, ainsi qu'un jeu de simulation pour créer une plateforme alimentaire municipale, un poster présentant un plan de gouvernance alimentaire à plusieurs niveaux et le jeu de cartes Bio Sceptiques. Le jeu de cartes vise à démonter les clichés associés à l'alimentation biologique, entendus par les agriculteurs, les commerçants, les consommateurs, les services municipaux, etc.
Les participants du forum A table ! Food Forum à Mouans-Sartoux (FR) jouant au jeu de cartes Bio Sceptics. Source : François Jégou : François Jégou.
L'un des principaux résultats des réseaux BioCanteens a été le forum alimentaire "A Table ! Mouans-Sartoux Food Forum". Du 26 au 28 septembre 2022, le Forum a rassemblé plus de 150 acteurs de 10 pays, dont 50 autorités locales, plus de 20 ONG et des structures officielles impliquées dans la transition alimentaire.
La question centrale de l'événement était la suivante : Comment soutenir les villes dans la transition alimentaire au niveau national et européen ? Il vaut la peine de réécouter certaines voix du forum, qui donnent davantage matière à réflexion :
- Selon Gilles Pérole, député-maire de Mouans-Sartoux, "la libre circulation des marchandises garantie par le Code des marchés européens va à l'encontre de la reterritorialisation de l'alimentation et du soutien à la transition agricole locale. Il faut une exception à ce Code européen des marchés alimentaires".
- La souveraineté alimentaire, thème central du Forum, consiste à retrouver la capacité de choisir ce que nous mettons dans nos assiettes. Fabrice Riem, avocat et coordinateur du Centre Lascaux sur les transitions, a présenté un point de vue intéressant sur la manière de rendre les exceptions opérationnelles, sans enfreindre les règles.
- Riem et Davide Arcadipane, de la ville de Liège (BE), ont discuté du processus de division des appels d'offres publics en lots multiples - afin de faciliter l'accès des cantines scolaires aux fournitures provenant de petits producteurs locaux. M. Riem a souligné que ce procédé, désormais courant, constitue un moyen d'assouplir le Code des marchés publics sans le remettre en cause. Cela dit, le fractionnement des appels d'offres en 300 à 400 lots, tel que pratiqué par la ville de Dijon (FR), nécessite des capacités en ressources humaines dont les petites villes ne disposent pas et, par conséquent, une première distinction doit être faite en fonction de la taille des différentes villes.
- Kevin Morgan, de l'Université de Cardiff, a noté que si les villes veulent "exprimer leur pouvoir d'achat pour mettre en place un système alimentaire local", il serait possible de le faire en utilisant les lois rurales actuelles et en s'emparant des compétences existantes des municipalités. Au moins en France, c'est la façon d'assurer l'ancrage territorial, de concevoir un appel d'offres pour la fourniture de denrées alimentaires qui exige une contribution à la construction du système alimentaire local et qui, en fin de compte, est conforme à un plan alimentaire territorial.
- Au niveau européen, les suggestions recueillies vont dans le même sens : il est fondamental de créer un lien direct entre l'Europe et les villes capables de reconstruire un tissu agricole local de qualité. Notamment en termes de financement direct de la production agricole publique, comme par exemple la création potentielle de projets "leaders urbains" ou "leaders urbains inter-ruraux".
- Toutes ces idées représentaient, de manière pratique et opérationnelle, les principes énoncés par Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food : consommer de la nourriture est bien plus qu'un simple repas, c'est un acte agricole. De même, produire et acheter des aliments ne se limite pas à approvisionner les cantines de la ville, il s'agit de construire un système alimentaire territorial local cohérent.
Retour au laboratoire
Mouans-Sartoux accueillera le EU City Lab sur les systèmes alimentaires locaux #1 les 21 et 22 mars 2024. L'agenda est déjà disponible en ligne et les inscriptions sont ouvertes jusqu'au 7 mars ! Ce sera une occasion unique d'en apprendre davantage sur les bonnes pratiques dans le domaine de la restauration scolaire collective, d'examiner de plus près les réseaux de transfert URBACT BioCanteens et Biocanteens#2 et de discuter de la façon dont les projets locaux peuvent stimuler des habitudes alimentaires plus saines et durables parmi les citoyens à travers différents pays et régions.
Souhaitez-vous en savoir plus sur le travail passé des villes URBACT en matière de création de systèmes alimentaires locaux durables ? Pour approfondir les pratiques agroalimentaires de Moans-Sartoux et d'autres villes, vous trouverez de nombreux documents sur le URBACT Knowledge Hub - Alimentation et systèmes locaux durables.
Un autre laboratoire prévu à Liège en mai
Le deuxième Lab sur les systèmes alimentaires locaux est prévu à Liège les 29 et 30 mai. Celui-ci portera plus spécifiquement sur les marchés publics comme levier de l'agriculture et de l'alimentation durables, mais notez bien la date.
Disclaimer : Cet article est une mise à jour d'une publication de François Jégou du 08/11/2022.